Il fallait vraiment ne lire que L’Équipe ces derniers mois pour ne pas voir les nuages s’accumuler à l’horizon pour le Made in France. Avec le salon du Made in France (MIF Expo) qui approche, la situation est loin d’être réjouissante pour une industrie déjà fragilisée. Alors que la consommation reste en berne et que les coûts de production explosent, les entreprises, petites comme grandes, peinent à rester à flot. Pour beaucoup d’entrepreneurs, 2023 a été l’année de trop. Cet automne pourrait bien être celui de tous les dangers, où les défaillances pourraient atteindre un niveau record. Pourtant, une lueur d’espoir subsiste : le rôle que chaque acteur économique peut jouer en orientant ses choix vers la production locale.
Des signes inquiétants : défaillances et fermetures
Le tissu industriel français est en pleine turbulence. Depuis la fin des aides d’urgence liées à la pandémie, les défaillances d’entreprises se multiplient à un rythme alarmant. Au cours du premier semestre 2024, on a enregistré une hausse de 18 % des défauts d’entreprises par rapport à la même période de 2023. Ce sont plus de 33 500 défaillances qui ont eu lieu sur cette période, menaçant des dizaines de milliers d’emplois. Des secteurs pourtant historiquement solides comme la construction et le commerce subissent de plein fouet cette vague de faillites, exacerbée par une consommation qui peine à retrouver son niveau pré-Covid.
À cela s’ajoute l’accélération des fermetures d’usines. Rien qu’au premier semestre 2024, 61 usines de plus de 10 salariés ont fermé leurs portes, une hausse de 9 % par rapport à l’année précédente. Les espoirs de réindustrialisation sont donc fragiles, dans un contexte où la hausse des prix de l’énergie et des matières premières pèse lourdement sur les marges des entreprises.
Des champions du Made in France dans le rouge
Les fleurons du Made in France ne sont pas épargnés. Des entreprises emblématiques telles que Gautier, Devialet ou encore Duralex traversent des périodes de grande incertitude.
Le fabricant de meubles Gautier, champion de l’ameublement français, a été placé en redressement judiciaire cet été. Ses difficultés s’accumulent depuis deux ans, notamment en raison d’une chute importante des ventes, avec une baisse de 6,5 % en 2023. L’entreprise, qui emploie 700 salariés, tente de se maintenir à flot, mais la situation reste critique.
De son côté, Duralex, célèbre pour ses verres « incassables », a été durement frappée par l’envolée des prix de l’énergie, ses coûts de production ayant grimpé en flèche. La verrerie, qui a connu six dépôts de bilan en 27 ans, désormais une Scop, est à nouveau dans une situation périlleuse, avec 10 millions d’euros de pertes en 2023.
Enfin, la French Tech n’est pas épargnée. Devialet, marque d’électronique haut de gamme, fait face à une baisse de 20 % de son chiffre d’affaires avec une perte de 15 millions d’euros. Malgré ses efforts pour s’imposer à l’international, notamment en Chine et aux États-Unis, l’entreprise lutte pour retrouver la croissance. Face à une crise de financement sévère, elle a initié une procédure de conciliation pour rééchelonner ses dettes et tenter de lever de nouveaux capitaux.
Pour le textile : ça passe ou ça casse
Le secteur textile est particulièrement touché par cette crise. Les grandes marques qui avaient misé sur la fabrication française peinent à maintenir leurs modèles économiques face à la concurrence féroce de la fast fashion, menée par des acteurs comme Shein ou Temu.
Le Slip Français, symbole du renouveau textile hexagonal, voit ses ventes baisser de 10 % chaque année depuis 2021. Pour relancer son activité, la marque a été contrainte de revoir sa stratégie en cassant ses prix, une décision douloureuse pour une marque qui avait misé sur le premium et le Made in France.
Même Le Coq Sportif, qui avait pourtant décroché le contrat de fournisseur officiel des Jeux Olympiques de Paris 2024, traverse des turbulences. L’entreprise, en proie à des difficultés financières majeures, a dû solliciter un prêt d’urgence de 29 millions d’euros pour financer la production des tenues olympiques. La situation de l’équipementier est inquiétante, malgré la visibilité mondiale résultant de cet événement planétaire.
La French Tech en recherche de financements
La French Tech, autrefois fer de lance de l’innovation française, n’échappe pas à la crise. Depuis 2023, les défaillances de startups françaises ont explosé, notamment celles qui peinent à lever des fonds dans un contexte de durcissement des conditions de financement. En l’espace de 18 mois, 129 startups ont mis la clé sous la porte, un chiffre en forte hausse par rapport aux années précédentes. Le taux de faillite des startups dites « matures » atteint désormais 5,6 %, révélant la fragilité de cet écosystème face à l’augmentation des taux d’intérêt et aux incertitudes économiques globales.
L’exemple d’Ynsect, pionnière dans l’élevage d’insectes pour l’alimentation animale et humaine, illustre parfaitement ces difficultés. Autrefois perçue comme un joyau de la French Tech, Ynsect a levé plus de 600 millions d’euros depuis sa création, mais peine aujourd’hui à trouver des investisseurs pour financer son expansion. En 2024, la société a dû se placer sous procédure de sauvegarde pour éviter la faillite. Malgré une levée de fonds impressionnante en 2023, les coûts de production élevés et des retards dans la construction de son usine ont plongé l’entreprise dans une crise de trésorerie. Cet exemple met en lumière la difficulté actuelle des startups françaises à accéder aux capitaux nécessaires pour se développer, alors même qu’elles représentent un pilier essentiel pour l’avenir économique du pays.
L’heure n’est pas à l’abattement, mais à la re-mobilisation
Face aux défis actuels, l’heure n’est pas à l’abattement mais bien à la mobilisation collective. D’abord, les pouvoirs publics doivent rétablir un cadre réglementaire et fiscal stable, capable de redonner confiance aux acteurs économiques et de réduire l’incertitude qui paralyse tant d’initiatives actuellement. Ensuite, les entreprises et distributeurs doivent, eux aussi, s’engager en jouant la carte de la solidarité, en privilégiant les sourcings locaux et en soutenant les producteurs français. C’est à travers cette alliance que l’on pourra renforcer la résilience du tissu industriel et commercial du pays.
Mais surtout, c’est aux consommateurs que revient un rôle clé. En orientant leurs achats vers des produits locaux, ils ne se contentent pas de consommer : ils investissent dans l’avenir du pays. Chaque achat devient un geste de soutien à l’économie nationale, à l’emploi, et à la préservation de savoir-faire uniques. Consommer moins, mais mieux, c’est investir collectivement dans un futur partagé, plus durable et plus solidaire. La relance du Made in France ne se fera pas seule, mais ensemble, en misant sur la coopération entre politiques, entreprises et citoyens.